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Les gorgones de Martinique

Sous la surface des eaux, on les affleure du regard et, parfois, les larges formes plumeuses nous caressent sur notre passage. Elles apaisent les plongeurs novices avec leurs balancements langoureux et décorent les aquariums en apportant mouvement, délicatesse et élégance. Elles sont les dames qui règnent en maîtresses sur les paysages sous-marins caraïbes.

 

En éventail, en forme de plumes, de petits arbres touffus ou en chandelier, ce sont les gorgones. Leur nature animale a été longtemps discutée et ce n’est qu’au milieu du 17e siècle que les « fleurs de corail » ont été assimilées à des polypes munis de huit tentacules. Tout comme les Madrépores, vulgairement appelés coraux (dont les fameux bâtisseurs de récifs), les gorgones sont des colonies animales, ou plutôt des « siamois multiples », car tous les individus sont issus d’un même polype fondateur et sont toujours reliés entre eux par un système de canaux. Les gorgones sont des filtreurs actifs (munis d’un dispositif de capture) se nourrissant de plancton et de matière détritique en suspension. Les espèces peu profondes possèdent aussi des algues symbiotiques, ce qui leur assure un complément nutritionnel non négligeable dans les eaux pauvres en plancton.

 

Polypes épanouis de Diodogorgia nodulifera  © Romain Ferry / Madibenthos / MNHN Polypes épanouis de Diodogorgia nodulifera © Romain Ferry / Madibenthos / MNHN

Les gorgones sont particulièrement abondantes à quelques mètres sous la surface dans les Petites Antilles et peuvent constituer de véritables forêts sous-marines qui sont des écosystèmes à part abritant une vie très diversifiée. Ce n’est pas pour rien que les pêcheurs les considèrent comme les « maisons des poissons » même si elles gênent le maniement des filets. Entre 30 et 40 espèces habitent les eaux superficielles sur les côtes de la Martinique.

 

Population de la gorgone Euniceopsis fusca © Romain Ferry / Madibenthos / MNHN Population de la gorgone Euniceopsis fusca © Romain Ferry / Madibenthos / MNHN

Cependant, les gorgones sont très peu étudiées dans les Petites Antilles françaises et les seuls inventaires effectués sur le terrain remontent aux années 80. L’expédition Madibenthos permet de renforcer les données mais aussi d’évaluer le devenir des populations. En effet, depuis une trentaine d’années, les écosystèmes marins évoluent sous le double impact des changements globaux (réchauffement climatique, acidification des eaux, espèces invasives) et des perturbations locales. A titre d’exemple, les populations de gorgones sont durement affectées depuis les années 90 par un champignon terrestre qui s’est retrouvé dans le milieu marin à cause, principalement, de la diminution du couvert végétal littoral. Il est devenu pathogène pour les gorgones déjà fragilisées par l’hyper sédimentation et les pollutions locales diverses. Mais les gorgones peuvent aussi profiter de la mortalité massive des coraux et s’imposer dans les habitats récifaux. L’expédition Madibenthos a donc pour objectif de mieux mettre en évidence ces changements au niveau régional, ce qui permettra d’ajuster les mesures de protection pour l’avenir, pour les gorgones certes, mais aussi pour la vie foisonnante qu’elles abritent, y compris dans les « forêts sous-marines » dont l’importance écologique a été largement sous-estimée jusqu’alors. Les gorgones, organismes emblématiques des fonds marins caraïbes, sont aussi d’excellents indicateurs de la biodiversité et de la santé des écosystèmes marins.

Véronique Philippot et Romain Ferry

 

Martinique © Romain Ferry / Madibenthos / MNHN Martinique © Romain Ferry / Madibenthos / MNHN