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Les Pycnogonides

Depuis lundi, les bateaux et les collecteurs à pied n'ont cessé d'aller et venir, rapportant avec eux un formidable trésor de biodiversité marine. Au milieu de ce bouillonnement de vie, éclatant de formes et de couleurs, de mystérieuses apparitions se glissent parfois en dehors des débris pour se dévoiler au regard des trieurs : les pycnogonides.

Il est peu probable que vous ayez déjà entendu ce nom. Pourtant, les pycnogonides habitent les mers et océans du monde entier : des littoraux les plus cristallins aux abysses les plus enfumés, aux océans les plus glacés. Un peu moins de 1 400 espèces connues hantent les eaux salées, se dérobant au regard de ceux qui ne pensent pas à les chercher. A vrai dire, même les scientifiques les ont un peu oubliés.

 

Ce sont des Arthropodes, c'est-à-dire des animaux avec un exosquelette et des appendices articulés, comme les Insectes, les Crustacés, les mille-pattes, ou les Arachnides. De loin, on pourrait d'ailleurs les confondre avec des araignées ; mais plutôt que des crochets, ils ont une trompe (le proboscis) et possèdent un corps minuscule, au point que les organes sexuels et digestifs, manquant de place, s'étendent dans leurs huit (parfois dix ou douze) longues pattes. Leur taille est très variable : si la plupart des espèces font de quelques millimètres à 2 cm d'envergure, certaines atteignent à peine le millimètre, tandis que les géants d'Antarctique dépassent plusieurs dizaines de centimètres ! Les pycnogonides vivent sur le fond océanique, déambulant avec lenteur à la recherche d'une proie : ce peut être une anémone, un polype de corail, une éponge, des Bryozaires, parfois un Mollusque, un Echinoderme, des détritus ou certaines Algues – jamais rien qui ne les obligerait à briser le rythme de leur marche hautaine et silencieuse. Certains peuvent même nager, s'élevant dans l'eau en remuant leurs pattes dans une étrange danse de pantin.

 

A Madibenthos, nous avons décidé de ne plus oublier les pycnogonides. Ceux que nous avons attrapés cette semaine se faufilaient secrètement entre les algues et les éponges, presque invisibles sous nos loupes ; leurs frêles silhouettes se dessinaient à peine dans la diversité animale et végétale bariolée des échantillons de collecte : les pycnogonides apparaissent et disparaissent comme des fantômes.

Etudier les pycnogonides, c'est faire remonter à la surface un pan oublié et obscure de la biodiversité, plein d'espèces à découvrir, de mystères à percer. Une vingtaine d'espèces est déjà connue de Martinique grâce à deux études dont la dernière remonte à plus de vingt ans, mais nos collectes de la semaine ont déjà dévoilé que beaucoup d'autres de ces créatures ont arpenté incognito les eaux madininaises. La recherche et l'étude des groupes orphelins comme les pycnogonides ne sont pas une tâche aisée, mais sont fondamentales si l'on veut connaître, puis protéger, notre biodiversité aux millions de facettes.

 

Romain Sabroux.